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24 janvier 2020

«L’humour n’est pas assez pris au sérieux» | Hyung-ki Joo

par Anne Payot-Le Nabour

« L’humour dans la musique classique n’est pas assez pris au sérieux »
Conversation avec Hyung-ki Joo

Dans l’un de vos clips, vous chantez que « le rire est la clé pour survivre »… Une conviction personnelle ?

Oui, car le rire et l’humour ont littéralement sauvé le monde. Pleins d’histoires ont été relatées par des survivants des camps de concentration ou des personnes ayant subi des événements terribles : tous racontent que la musique ou l’humour leur ont donné des ailes pour survivre. De nombreux survivants de l’Holocauste ont aussi dit qu’ils s’étaient divertis entre eux sachant qu’ils pouvaient mourir le lendemain : la situation était tellement absurde qu’ils l’ont surmontée en se racontant des blagues. Le pouvoir du rire et de l’humour n’est donc pas négligeable et il a été prouvé scientifiquement que faire juste bouger les zygomatiques aide déjà les hormones du bonheur à s’exprimer.

Autre credo de votre duo : « Un concert au 21e siècle n’est pas obligé de reprendre les codes d’un service funéraire »…

C’est une remarque que l’on nous a faite dès nos études à l’École Menuhin en Angleterre. Notre entourage se demandait pourquoi les concerts classiques ressemblaient à des funérailles et les gens s’y prenaient au sérieux. Or intérieurement, nous savions bien que nos grands héros comme Mozart, Haydn et Beethoven étaient sérieux du point de vue de ce qu’ils écrivaient, mais qu’ils ne se prenaient pas au sérieux, qu’ils avaient de l’humour. Mozart a écrit des cadences scatologiques, des partitions avec des paroles vulgaires mais même sans cela, l’humour transparaît très clairement dans ses opéras.

À l’inverse, une musique sérieuse ne veut pas dire que cela doit être lugubre mais l’atmosphère du concert est tellement étouffante que beaucoup de gens y somnolent et que certains jeunes ont peur d’y aller. Mais j’insiste, il y a de l’humour dans la musique classique qui n’est malheureusement pas assez pris au sérieux.

Comment votre duo a-t-il vu le jour ?

C’est difficile à dire car déjà quand nous étions à l’École Menuhin, nous avons monté des projets pour les fêtes de Noël ou des soirées cabaret. Comme duo, nous pouvons toutefois dire que nous sommes nés en 2004 avec notre premier spectacle au Musikverein de Vienne. À partir de ce moment, nous nous sommes dit que nous étions sur une voie intéressante bien que toujours en phase de développement et essayant tout le temps des choses différentes. À nos yeux, la musique passe toujours en premier : que les gens rient ou se divertissent constitue un bonus. C’est sans doute la raison pour laquelle des interprètes comme Yuja Wang ou Emanuel Ax ont envie de collaborer avec nous, parce qu’ils se rendent compte que nous sommes de vrais virtuoses, capables de jouer leurs instruments. Nous nous considérons en effet comme des musiciens qui faisons un peu de clowneries, pas l’inverse. La musique, je le répète, est primordiale.

Que ce soit Laurel et Hardy ou Charlot et le policier, le format du duo est particulièrement favorable aux situations comiques. Comment expliquez-vous cela ?

Dans les duos comiques, l’un des deux est souvent rigide. Dans notre cas, c’est chacun à tour de rôle. Quand l’un joue la folie d’ailleurs, ce n’est pas vraiment lui qui est amusant mais plutôt celui qui le regarde. De là vient la tension, source d’inconfort, lui-même source d’humour. Le fait de jouer sur l’autre crée aussi de la complicité.

Quand nous créons, avec Aleksey, nous avons une méthode « ping-pong » oserais-je dire. L’un envoie la balle, l’autre la renvoie d’une manière qui nous emmène complètement ailleurs. Je crois que cela est perceptible quand nous sommes sur scène. Nous avons aussi la chance de nous connaître depuis si longtemps et en privé, nous sommes les meilleurs amis du monde ! Cela entretient notre complicité.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Nous en avons tellement que je ne pourrais pas toutes les citer, nous ne finirions jamais l’interview ! Nous sommes très amateurs des Monty Python que nous regardions beaucoup à la BBC dans les années 1980, à une époque où il n’y avait pas encore Internet. Nous apprécions aussi des gens comme Victor Borge, un peu notre grand-père pour avoir été le premier à mélanger humour et musique classique. Nous aimons également l’humour pur comme celui de South Park et de Rowan Atkinson, mais aussi Le Quatuor, très connu en France, Charlie Chaplin et, depuis nos années d’adolescence Oscar Wilde, Tchekhov ou encore Shakespeare.

En quoi le projet « Big Nightmare Music » consiste-t-il exactement ?

« Big Nightmare Music » repose sur un jeu de mots par rapport à la Kleine Nachtmusik de Mozart : en réponse à cette Petite Musique de Nuit, nous proposons « une grande musique de cauchemar ». Cauchemar parce que nous adorons les choses qui ne fonctionnent pas. Nous ne croyons d’ailleurs pas au concept d’erreur ou de faute que nous voyons comme des opportunités. Nous essayons vraiment de transmettre cette idée quand nous travaillons avec des orchestres ou des étudiants. Même si nous prévoyons pleins de gags à l’avance, beaucoup viennent s’ajouter au fil des représentations. Ainsi, dans le spectacle, je fais semblant de dormir, allongé, et quand je me réveille, je joue du piano à l’envers, avant de me relever. Cela remonte à une fois où je me suis cogné la tête dans le piano ce qui avait beaucoup fait rire le public : désormais, chaque fois que je fais ce sketch, je me tape la tête. Cela explique sans doute pourquoi je suis un peu fou !

Qu’implique le fait de donner votre spectacle aux côtés d’un orchestre ?

Nous avons créé ce « Big Nightmare Music » pour illuminer l’orchestre et je ne le dis pas par modestie. Selon nous, l’orchestre n’est pas un corps mais un ensemble d’individus que nous souhaitons célébrer. Cette configuration est toutefois un tout petit peu moins flexible qu’en duo car nous jouons avec une cinquantaine de musiciens. Pour autant, même si tout est chronométré, nous essayons d’encourager les membres de l’orchestre pendant les répétitions à réaliser sur scène leurs rêves les plus fous. Nous leur donnons carte blanche et leur demandons d’étonner leurs collègues. Jusqu’à présent, les orchestres ont toujours proposé des choses complètement folles.

C’est un peu comme une thérapie d’après ce que nous confient souvent les directeurs d’orchestres à la fin d’une semaine de travail ensemble, favorisant la camaraderie entre collègues car dans les orchestres, les musiciens ne se parlent pas forcément. Chacun a des idées préconçues sur l’autre. Pendant le spectacle, ce sont la plupart du temps les musiciens les plus timides qui s’ouvrent le plus : leurs frustrations sortent à ce moment-là. Et comme nous n’aimons pas que les concerts ressemblent à des funérailles, si nous en avons la permission, nous demandons que les musiciens soient habillés un peu différemment de leurs tenues noires habituelles. Avec ce spectacle, le public voit l’orchestre devenir vivant, ce qui suscite chaque fois une explosion de joie.

En quoi le concert de ce soir sera-t-il différent de la version que vous proposerez demain au jeune public ?

Les jeunes sont notre avenir et je tire mon chapeau à l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg d’organiser des concerts pour le jeune public. D’autant qu’il est scientifiquement prouvé que la musique aide le cerveau à apprendre des langues et est bonne pour la santé. Nous avons toujours dit que nos spectacles étaient destinés aux enfants de 6 à 106 ans car nous sommes tous des enfants, musiciens compris ! Il faut aussi avoir conscience que connaître les références n’est pas important. Une fois, à Los Angeles, nous avons proposé le numéro « For Mozart with love » qui consiste en un pot-pourri de thèmes de Mozart et de James Bond. À la fin, je suis allée parler avec deux petites filles de l’auditoire et leur ai demandé quels avaient été leurs numéros préférés. Elles m’ont dit qu’elles avaient aimé le « Mozart-Bond ». Je pensais qu’elle connaissait James Bond mais elles m’ont dit qu’elles ne savaient pas qui c’était. J’ai alors demandé si elles connaissaient Mozart et elles m’ont dit « Bien sûr, Mozart. La Flûte enchantée, Don Giovanni ». Cela ne les avait pas empêchées de trouver le spectacle très drôle. Nous essayons donc toujours d’insérer plusieurs niveaux de lectures dans nos numéros car la priorité est de n’exclure personne.

Pour finir, quelle question auriez-vous aimé que je vous pose ?

(rires) J’aurais aimé que vous me fassiez parler de nos autres centres d’intérêt hormis la musique car nous en avons beaucoup : la cuisine, le tennis, le football, la danse, la littérature. Vous auriez aussi pu me faire parler de notre livre tout juste terminé, Save the World. Il y est question de créativité car nous croyons sincèrement au fait de l’intégrer au quotidien. La créativité a la capacité de sauver le monde, à grande et à petite échelle. La question aurait donc pu être en toute modestie…« Comment pensez-vous sauver le monde » ?…

Interview réalisée le 04.09.2019

Anne Payot-Le Nabour est Programme Editor à la Philharmonie Luxembourg depuis 2015. Après des études en littérature, allemand et musicologie, elle a travaillé pour Les Musiciens du Louvre et le Festival d’Aix-en-Provence, tout en exerçant une activité de rédactrice indépendante pour différentes maisons d’opéra.

Concerts

  • 31.01.2020 19:00

    Igudesman & Joo «Big Nightmare Music» – Aventure+

    A déjà eu lieu

    Pour le deuxième «Aventure+» de la saison, c’est à l’un des duos les plus déjantés de la sphère classique que s’associe l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg: Igudesman & Joo, respectivement violoniste et pianiste, partageant la scène >EM>«pour faire rire grâce à la musique, mais jamais à ses dépens» (Le Figaro). Complices depuis l’école Yehudi Menuhin où ils se sont rencontrés à l’âge de douze ans, ils revendiquent l’héritage des Monty Python, mais aussi de Ionesco, Wilde ou encore Shaw. Pince-sans-rire, Joo confie ainsi: «À l’école Menuhin, nous dévorions plus de littérature que de musique, c’est sûrement pour ça que je n’ai jamais progressé en violon!» Humour garanti!

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