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17 juillet 2018

Les frères et sœurs en musique classique

par Marie-Anne Maršálek

Clans, dynasties, fratries : l’histoire de la musique est truffée d’histoires de famille, compositeurs et instrumentistes confondus. Des musiciens dont l’aura décuple parfois du fait de leur proximité avec d’autres artistes hors du commun. Côté compositeurs, les quatre fils Bach, Mozart et sa sœur Maria Anna ou encore Felix et Fanny Mendelssohn viennent le plus immédiatement à l’esprit.

Côté instrumentistes, les plus réclamés des salles de concert sont aujourd’hui les sœurs Labèque et les sœurs Bizjak (pianistes), les sœurs Nemtanu (violonistes), la fratrie Savall (harpiste et guitariste), les frères Capuçon (violoniste et violoncelliste) et, en jazz, les jeunes frères Enhco, descendants de la famille Casadesus. Si le phénomène de musique par fratrie est aujourd’hui en vogue au point de constituer un véritable atout marketing, il est loin d’être nouveau : à la période baroque, des clans familiaux incarnaient l’âme musicale de certaines grandes cités, tels la prolifique famille Bach à Leipzig ou les Vivaldi à Venise.

L’histoire, la sociologie de l’art ou encore la psychologie constituent autant de prismes pertinents à l’étude de ce phénomène. Quelle part a joué et joue aujourd’hui l’ascendance dans le choix commun, par des frères et soeurs, d’une même vocation ? Comment éviter rivalités et irritation lorsqu’on se côtoie sur scène et dans les coulisses ?

Le rôle de l’ascendance familiale, d’hier à aujourd’hui

Certes, une enfance commune baignée de musique facilite la naissance d’une fibre partagée par toute une fratrie. Au cours des siècles baroques et classique, l’engagement d’une génération dans le monde de la musique pouvait même constituer un déterminisme.

Reste que l’étude de cas particuliers datés des siècles ultérieurs dément les idées reçues et les conclusions trop simples. Il s’avère, en effet, que le déterminisme familial – social comme génétique – n’explique pas le choix commun, chez des frères et soeurs, d’une carrière musicale. Parmi moult exemples, citons Felix et Fanny Mendelssohn, issus de père banquier mais mélomane, ou les parents Capuçon, également étrangers au monde de la musique. […]

De nos jours, le monde de la musique baroque reste propice à une approche familiale de la profession. Les enfants de Jordi Savall – la harpiste Arianna et le guitariste Ferran – jouent ainsi fréquemment ensemble dans le cadre de concerts organisés par leur illustre père.

C’est que, dans le monde de la musique baroque, « la musique est restée artisanale », souligne Jordi Savall. Ce dernier gérait d’ailleurs, aux côtés de son épouse décédée, la chanteuse Montserrat Figueras, et de ses enfants une maison de disques, Alia Vox, qu’ils ont fondée.

À dater du 20e siècle, l’idée de déterminisme parental ou familial s’atténue considérablement, la liberté individuelle prenant le dessus. Le cas des sœurs Boulanger – Nadia Boulanger (1887–1979), célèbre pédagogue, et Lili Boulanger (1893–1918), l’une des compositrices les plus reconnues – atteste particulièrement bien de l’influence positive, librement disséminée, d’une ambiance familiale. […] L’ascendance des deux sœurs, séparées par six années, est résolument propice à la vocation musicale : le père, Ernest Boulanger, est compositeur, titulaire d’un grand prix de Rome obtenu à l’âge de 19 ans et professeur de chant au Conservatoire de Paris ; la mère est une cantatrice russe très mélomane. Dans ce contexte, Nadia Boulanger – qui pense en musique et entend intérieurement de la musique – obtient cinq premiers prix au Conservatoire de Paris. Elle s’affirme peu à peu dans sa vraie vocation, l’enseignement. Une relation étroite l’unit à sa sœur, la fragile Lili. Cette dernière, grandie dans la même atmosphère, se montre particulièrement précoce dans son apprentissage, passant son temps à déchiffrer des partitions dès l’âge de six ans. Nadia lui enseigne l’harmonie et le contrepoint. La jeune fille, qui pratique de nombreux instruments, s’adonne très tôt à la composition. En 1913, elle

Nadia (debout) et Lili Boulanger Nadia (debout) et Lili Boulanger

devient la première femme à remporter le premier grand prix de Rome de composition musicale. L’auteure des Trois Psaumes et de la Vieille Prière bouddhique (1917), est par ailleurs sans cesse soutenue par Nadia, déjà célèbre et recherchée par les grands de ce temps. Elles fondent ensemble, en pleine guerre, la Gazette des Classes de Composition du Conservatoire, biais par lequel les musiciens engagés dans la guerre peuvent échanger des nouvelles. Le lien humain et musical qui unit les deux sœurs ne se démentira pas : c’est Nadia qui prend en note, alors que Lili se trouve sur son lit de mort, sa dernière œuvre, le Pie Jesus.

Notre dernier exemple appuie la thèse d’une liberté accrue au 20e siècle, conjuguée à l’influence d’un climat bienveillant vis-à-vis de la musique : invité dans une émission de télévision consacrée à la famille dans le monde de la musique classique, le jeune David Enhco, trompettiste de jazz, relate : « J’ai joué une pièce avec mon frère Thomas Enhco et ma mère Caroline Casadesus, et le dernier mouvement du Concerto pour trompette de Haydn avec l’Orchestre National de France, dirigé par mon grand-père Jean-Claude Casadesus. » La fierté de cette ascendance ne prive en aucun cas le jeune homme de sa liberté, celle d’avoir ancré sa carrière dans un autre genre de musique que celle de ses illustres parents, la dynastie Casadesus.

Aujourd’hui, la carrière de musicien est donc une question de choix, nécessitant une volonté et une réussite individuelles, là où cette trajectoire était parfois toute tracée au cours des siècles précédents.

Frère et soeur, mais aussi homme et femme : une inégalité mise à jour ?

Les titres et le lexique d’articles consacrés aux sœurs de grands compositeurs sont éloquents : la sœur subit ainsi, bien souvent, un « injuste destin », elle « reste dans l’ombre », éclipsée par son génie de frère. C’est là toute la teneur d’articles tels que « Nannerl, la sœur virtuose et sacrifiée de Mozart », titre du Monde signé par Jacques Mandelbaum, ou encore « Nannerl était-elle aussi géniale que Mozart lui-même ? », par Rita Charbonnier. « Pourquoi Fanny Mendelssohn n’est-elle pas entrée dans l’histoire de la musique ? » s’interroge par ailleurs Aliette de Laleu dans une chronique sur France Musique tandis que, tout aussi éloquemment, Agnès Boucher titre en 2012 Comment exister aux côtés d’un génie, Fanny Mendelssohn, Clara Schumann, Alma Mahler et les autres. Ainsi, à milieu social et ambitions égaux, les sœurs – comme les filles et les épouses – sont loin d’avoir été encouragées et reconnues à l’identique. Aux 18e et 19e siècles en particulier, les brimades subies par certaines musiciennes, souvent réhabilitées par les musicologues actuels, apparaissent d’autant plus clairement que leurs frères, eux, ont accompli leur destin. Le cas de Clara Schumann, méconnue en tant que compositeur à l’inverse de son génial mari, est d’ailleurs exemplaire de ce phénomène.

Portrait de la famille Mozart par Johann Nepomuk della Croce, vers 1780/81 Portrait de la famille Mozart par Johann Nepomuk della Croce, vers 1780/81

Deux cas seront ici traités : celui de Nannerl (1751–1829), la sœur de Mozart et l’une des meilleures pianistes de sa génération, et celui de Fanny Mendelssohn-Hensel (1805–1847), talentueuse compositrice et sœur de Felix Mendelssohn.

  • Nannerl Mozart

    De nos jours, les musicologues s’interrogent sur la contribution de Nannerl au génie de son frère, là où celle de Fanny est tout à fait avérée. Un chercheur australien a ainsi retrouvé récemment des œuvres composées par Nannerl à des buts pédagogiques, l’apprentissage du piano-forte par son jeune frère. Plus généralement, l’aide que Nannerl aurait apportée à son frère est probable, à une époque où son statut de fille ne lui permettait pas d’espérer accomplir une carrière. On sait d’elle qu’elle reçoit, comme son frère, l’éducation musicale de Leopold Mozart, à commencer par les rudiments du clavecin. Elle serait par ailleurs, elle aussi, une enfant prodige, remarquable pour ses talents de claviériste. Proche de son frère dans son enfance, elle le perd de vue après la brouille magistrale du père et du fi ls. Sa carrière doit rapidement prendre fin, ainsi que l’exprime l’encyclopédie New Grove : « À partir de 1769 on ne lui a plus permis de montrer son talent artistique lors des voyages avec son frère, car elle avait atteint l’âge de se marier. »

  • Fanny Mendelssohn-Hensel

    Le destin de Fanny Mendelssohn-Hensel comporte de nombreuses similitudes [à celui de Nannerl Mozart]. À l’époque romantique, être la « sœur de » ne constitue en aucun cas un atout pour l’embellie d’une carrière, en dépit de dons extraordinaires. Fanny reste très proche d’un frère génial de trois ans son cadet ; et pourtant, il est aujourd’hui évident que son devenir aurait été tout autre si son père et son frère ne lui avaient interdit d’exercer son art et de mener carrière. Felix et Fanny reçoivent la même éducation soignée de l’intelligentsia berlinoise. L’un comme l’autre manifestent en outre très tôt des dons musicaux. Leur complicité se perpétue à l’âge adulte, Felix consultant fort souvent sa sœur pour son travail de composition. Abraham Mendelssohn s’était quoi qu’il en soit opposé à la passion de sa fille, lui écrivant le 16 juillet 1820 : « La musique sera peut-être pour lui (Felix) une profession mais pour toi elle ne peut et ne doit être qu’un agrément. » C’est le mari de Fanny, peintre, qui l’encouragea finalement à jouer et même à publier ses œuvres.

Désormais, être le frère ou la sœur fusionnel(le) d’un autre musicien représente un atout marketing de grande ampleur, un moyen d’être médiatisé et de fasciner. Lancées à la fin des années 1960, Katia et Marielle Labèque représentent les modèles de l’entente musicale et familiale. Conscientes de cet avantage pour leur notoriété, elles ont intitulé l’un de leurs enregistrements « Sisters » : plus que le contenu musical à venir, le titre rappelle que ce disque réunit toutes les œuvres pour piano à quatre mains ayant marqué la vie des deux sœurs. Le grand public s’intéresse d’ailleurs autant à la musique qu’à l’ascendance et aux chamailleries de ces fratries musiciennes, souvent sollicitées pour des entretiens journalistiques. Renaud et Gautier Capuçon sont les plus volubiles à cet égard, témoignant de la distance établie entre eux pour mieux se retrouver lorsqu’ils jouent ensemble. C’est d’ailleurs au brillant violoniste que revient notre conclusion : « Les frères musiciens, ce n’est pas toujours le gentil monde des Bisounours. [...] Mais si on ne se chamaillait pas, tant pour des questions d’ego que de fratries, on ne serait pas une vraie famille. »

Ancienne élève de l’École Normale Supérieure (Ulm) et du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris en musicologie, agrégée de musique, Marie-Anne Maršálek est l’auteure d’une récente thèse consacrée à la réinvention du Moyen Âge sur les scènes lyriques parisiennes au début du 19e siècle.

Photo de couverture: Arthur et Lucas Jussen (photo: Marco Borggreve)

Concerts

  • 19.10.2018 19:00

    Jussen & Jussen / OPL – Glass / Rachmaninov

    A déjà eu lieu

    Un grand écart des deux côtés du Pacifique, entre Russie et Amérique, pour ce premier «Aventure+» de la saison avec, en tête d’affiche, les frères Lucas et Arthur Jussen, «Hollandais aux doigts volants dont la finesse du style a séduit les plus grands» (Le Figaro), qui interprèteront, aux côtés de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, le Double Concerto pour deux pianos du compositeur minimaliste Philip Glass. La soirée se poursuivra avec la Troisième Symphonie de Rachmaninov, l’une des oeuvres préférées de son auteur, mêlant romantisme et touches de modernité, avant un concert de balalaïkas en toute convivialité dans le Foyer.

    Kulturpass, bienvenue!

  • 07.12.2018 20:00

    Sydney Symphony Orchestra / David Robertson / Renaud Capuçon

    A déjà eu lieu

    Si Renaud Capuçon est déjà un habitué des scènes de la Philharmonie Luxembourg, ce n’est pas encore le cas du Sydney Symphony Orchestra et de son directeur artistique David Robertson, qui se produisent pour la première fois en ce lieu le 07.12. Point de kangourous à l’horizon mais une pièce du compositeur australien Brett Dean en ouverture de ce concert, suivie sous les doigts du violoniste français du très cinématographique Concerto pour violon de Korngold, partition parmi les plus significatives de sa période américaine, qui puise son contenu dans trois musiques de film précédemment composées. D’Ouest en Est, le voyage musical se terminera avec la patriotique Symphonie N° 5 de Prokofiev.

  • 28.01.2019 20:00

    Jordi Savall / Hespèrion XXI / La Capella Reial de Catalunya

    A déjà eu lieu

    Reprenant à son compte, dans le livret du disque «Mille Regretz», une citation de l’écrivain Elias Canetti selon laquelle «la musique est la véritable histoire vivante de l’humanité», Jordi Savall fait son retour à la Philharmonie et choisit, après Venise en 2017, d’évoquer cette fois le temps de Charles Quint. À la tête de ses propres ensembles, Hespèrion XXI et La Capella Reial de Catalunya, il fait ainsi revivre l’univers musical de ce 16e siècle Renaissant, à la cour de celui que l’on peut selon lui «considérer comme le premier et dernier grand Empereur de l’Europe». Sachant «mieux que quiconque conter l’histoire en musique et transformer la musique en histoires» (Le Figaro), le chef catalan vous invite à remonter le temps.

    Kulturpass bienvenue!

  • 05.02.2019 20:00

    Bernard Haitink / Gautier Capuçon / COE

    A déjà eu lieu
    «Ce n’est pas tant un orchestre qu’une assemblée de musiciens d’un niveau exceptionnel. Ils se réunissent pour faire de la musique de chambre: ils sont habitués à s’écouter entre eux, sans être rivés à la baguette du chef. Cela correspond à l’idée que je me fais de la direction d’orchestre.» (Le Figaro). Ainsi le chef Bernard Haitink, membre honoraire de la formation, évoque-t-il le Chamber Orchestra of Europe qu’il retrouve le 05.02. pour une soirée dédiée à des grandes pages du répertoire germanique: le Concerto pour violoncelle de Schumann, dont la partie soliste sera interprétée par Gautier Capuçon, avant la dansante et vigoureuse Septième Symphonie de Beethoven. De quoi garder les yeux et les oreilles rivés à la scène!
  • 08.03.2019 20:00

    Gustavo Gimeno / Katia & Marielle Labèque / OPL

    A déjà eu lieu

    Offrant successivement aux instruments la possibilité de se présenter sous leur meilleur jour, la pièce Métaboles de Henri Dutilleux est une sorte de «concerto pour orchestre» qui ne dit pas son nom. Il en est de même pour les Danses symphoniques de Rachmaninov, qui, comme en témoignent des titres de mouvements supprimés plus tard – Midi, Crépuscule et Nuit – et plusieurs citations musicales, laissent percevoir des éléments programmatiques. Entre ces deux pièces sera joué le Concerto pour deux pianos de Poulenc, interprété par les soeurs Katia et Marielle Labèque. Sous leurs doigts, prendra vie une oeuvre toute d’élégance par ses couleurs délicates influencées par la musique de Bali et ses allusions à Mozart.

    Kulturpass bienvenue!

    Ce concert sera enregistré par radio 100.7 et diffusé le 10 avril 2019.