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21. November 2019

Du visuel au sonore

von Jean-Yves Bosseur

Tout au long du 20e siècle jusqu’à aujourd’hui, les échanges n’ont pas cessé de se multiplier entre la musique et les arts plastiques. C’est ainsi que des notions telles que la vibration, le rythme, la variation, le collage, la série, le hasard ont donné lieu à des déclinaisons dans les différentes disciplines artistiques. Au sujet de leurs relations, on pourrait distinguer cinq axes et ce, quels que soient les moyens techniques utilisés.

Le premier serait les équivalences sensorielles. Issue à la fois de l’intérêt qui s’amplifie à la fin du 19e siècle pour les mystères grecs et le concept de Gesamtkunstwerk (oeuvre d’art totale) développé par Richard Wagner, la démarche synesthésique a encouragé l’expérimentation de modes d’écriture synthétiques, de claviers de couleurs, d’associations multiples de sons et d’images, comme en témoignent les recherches d’Alexandre Scriabine ou de Vladimir Baranoff-Rossiné. Vassily Kandinsky, Arnold Schönberg et les artistes du Blaue Reiter, puis du mouvement musicaliste, impulsé par Henry Valensi, s’illustreront notamment dans ce domaine.

Une tout autre manière d’infléchir les domaines artistiques l’un vers l’autre consisterait à prendre comme point de départ le fait que l’énergie corporelle est déterminante dans tous les cas, que la notion de rythme est commune aux catégories de l’espace et du temps. Ce deuxième axe pourrait s’intituler «le rythme entre temps et espace». Le rapport entre geste graphique et geste instrumental devient déterminant chez Jackson Pollock, Olivier Debré, Jean Berthier… l’influence du jazz étant décisive à cet égard.

Dans un troisième cas de figure, qui pourrait s’intituler «les correspondances structurelles», le but ne serait pas tant d’aboutir à une fusion de tous les arts, à une communion poly-sensorielle, que de trouver une loi générale supérieure, souvent liée au nombre, susceptible de passer outre les contraintes matérielles propres à chaque discipline afin de tendre vers d’authentiques correspondances structurelles. C’est une dimension qui domine chez Paul Klee, Piet Mondrian, et dont on retrouve des résonances dans la pensée de Pierre Boulez ainsi que des compositeurs liés à l’esprit sériel.

Un quatrième axe consisterait à tenir étroitement compte des incidences visuelles et plastiques du fait musical. Inscrit dans une forme de théâtralité ou de ritualité, l’instrument de musique introduit une tonalité tantôt festive, tantôt méditative, susceptible d’infléchir l’attention que le spectateur consacre à l’oeuvre perçue, d’orienter son «écoute intérieure» dans le sens de l’imaginaire. Le phénomène musical regorge d’informations visuelles, qui peuvent être appréhendées selon leurs conséquences plastiques, mais aussi historiques, sociologiques, psychologiques ou politiques.

Par ailleurs, les compositeurs ne se sont pas privés, en particulier à partir de l’essor des notations graphiques inventées par John Cage, Earle Brown… de jouer sur l’impact visuel de leurs partitions. En retour, de nombreux plasticiens, notamment ceux qui pratiquent le collage, ont eux-mêmes tiré parti de cet espace codifié de signes spécifiques (destiné à rester partiellement secret pour les non-initiés) que représente la partition.

Sans que l’on puisse, à proprement parler, déceler une coupure franche entre les intersections pluri-artistiques du début du siècle et celles de ces dernières décennies, il est manifeste cependant que les problématiques se posent de manière différente pour les artistes qui ont assimilé l’expérience de l’oeuvre ouverte, défriché les territoires encore très partiellement explorés des mixed media, se sont confrontés aux problèmes des nouvelles formes de notation et de communication.

Si, au cours de la première partie du 20e siècle, les associations entre plusieurs disciplines sont souvent demeurées à l’état virtuel (à l’exception, bien sûr, des formes traditionnelles de confrontation audiovisuelle que représente l’opéra ou le ballet), c’est à une coopération effective de diverses formes d’expression que nous sommes conviés aujourd’hui. La plupart du temps, l’ambition ne sera pas d’aboutir à l’oeuvre totale et le concept de Gesamtkunstwerk deviendra, par conséquent, hors de propos. Certains mouvements artistiques, tels le futurisme et le dadaïsme, représentent les prémisses de telles attitudes, qui se confirmeront avec John Cage et le groupe Fluxus. C’est ainsi qu’un cinquième axe tendrait à se situer par-delà les catégories artistiques traditionnelles.

À travers la pluralité de telles démarches, un certain nombre de notions clés s’insinue à la manière d’une basse continue: le jeu (avec la flexibilité et le risque qui lui sont inhérents), l’écart par rapport aux systèmes conventionnels et aux catégories artistiques convenues, l’interrogation sous-entendue par des projets à saisir en tant que processus dynamiques plutôt qu’oeuvres immuables ; et le plus souvent, loin d’être valorisée en tant que telle, la technologie fait elle-même partie de ce questionnement.

Parmi les notions qui permettent de concevoir des passages explicites entre arts plastiques et la musique pourrait bien figurer le minimalisme, ce qualificatif ayant été employé en 1965 par les théoriciens Barbara Rose et Richard Wolheim pour désigner une tendance de l’abstraction représentée par des artistes comme Carl Andre, Dan Flavin, Donald Judd, Robert Morris, Sol LeWitt ou Robert Ryman, qui fondaient leur démarche plastique sur des formes géométriques élémentaires, dites aussi «structures primaires», généralement traitées de manière aussi épurée et impersonnelle que possible.

L’art minimal se nourrit en fait du principe fondateur de l’architecte Mies van der Rohe «Less is more», des oeuvres de Kasimir Malevitch, et reconnaît le peintre abstrait Ad Reinhardt comme l’un de ses pionniers, avec Frank Stella. Un des aspects qui permettrait de rattacher cette tendance à la musique dite minimale est la lisibilité très affirmée des processus mis en oeuvre, une façon d’exposer des éléments bruts, communiqués tels quels, sans a priori esthétisant.

Si le concept de «musique minimale» s’est développé au cours des années 1970, il remonte en fait au début des années 1960 aux États-Unis, en particulier à New York et à San Francisco. Certaines oeuvres de Cage (par exemple l’emblématique 4’33”, pièce basée sur la problématique du silence) et les réalisations du groupe Fluxus ont largement contribué à son essor. En raison de la relative immobilisation de certaines propriétés du son pendant des durées très longues, plusieurs oeuvres de Morton Feldman pourraient également s’y rattacher.

Parmi les antécédents à ce courant, on pourrait citer Vexations (1893) pour piano d’Erik Satie, avec ses 840 reprises d’un unique motif (à l’initiative de Cage, la première exécution intégrale de cette oeuvre dura plus de 18 heures). Cette quête d’un dépouillement se retrouve par ailleurs chez Federico Mompou, ou encore Edgar Varèse lorsqu’il déclare à propos des motets de Tomás Luis de Victoria (1548–1611): «Si peu de notes pour tellement de musique.» Et dans le domaine du jazz, Miles Davis n’a-t-il pas affirmé pour sa part: «Pourquoi jouer tant de notes alors qu’il suffit de jouer les plus belles»?

Dès son origine, le mouvement musical qualifié de minimaliste a entretenu d’étroites relations avec le monde des arts visuels, des expositions de LeWitt, Judd ou Serra ayant accueilli ses premières réalisations. Le terme lui-même englobe un spectre assez large de tendances et il convient à ce propos de le distinguer de celui de «musique répétitive», qui ne désigne qu’une de ses orientations.

Les premières oeuvres de ce courant utilisent un matériau délibérément très limité, avec l’utilisation de bourdons chez La Monte Young, ou de techniques de répétition, par décalage de phase chez Steve Reich, ou addition/ soustraction de motifs ou patterns chez Philip Glass. Avec le Trio for strings (1958), La Monte Young peut être considéré comme l’un de ses principaux protagonistes. S’y sont également illustrés Jon Gibson, Tom Johnson et, plus récemment, John Adams. S’écartant des processus d’indétermination inventés par Cage aussi bien que des effets de discontinuité engendrés par l’écriture sérielle, les compositeurs qui ont adhéré à ce mouvement ont amplifié, voire généralisé le principe de l’ostinato, qui consiste en la persistance d’une formule mélodique, harmonique et/ou rythmique.

Les traits les plus marquants de ces musiques, sont, d’une part, la réduction souvent radicale du matériau compositionnel à travers des schémas harmoniques simples, déduits de l’univers tonal ou modal et, d’autre part, le recours à des formules rythmiques fondées sur la prégnance d’une pulsation, avec des variations plus ou moins insensibles ou progressives à partir des éléments sonores de base.

Par exemple, dans In C (1964) de Terry Riley, les instrumentistes doivent répéter les cinquante-trois formules mélodiques et rythmiques de la partition pendant un laps de temps compris entre 45 et 90 minutes. Rendus aussi imperceptibles que possible, les superpositions et tuilages successifs produisent ainsi peu à peu un état de fascination auditive, qui n’est pas sans refléter l’influence de certaines pratiques extra-européennes (celles du Ghana pour Reich, de Bali ou de l’Inde pour Riley).

Pour Reich, le principe de répétition représente un moyen privilégié de réaliser ce qu’il appelle la «musique comme processus graduel». Contrairement à Cage, qui met plus volontiers l’accent sur la nature des processus de composition que sur le résultat proprement dit, il lui importe que le processus compositionnel et la musique entendue soient une seule et même réalité. Ce type de musique a connu de fertiles formes de développement en Grande-Bretagne chez des compositeurs comme Gavin Bryars, Michael Nyman ou Brian Eno…

On pourra toutefois se demander si les principes structurels sur lesquels repose le mouvement minimal dans le domaine des arts plastiques sont vraiment comparables à ceux que l’on trouve dans celui de la musique, en raison notamment de la persistance, dans la plupart des oeuvres de ce courant, de modèles mélodiques et rythmiques dérivés de l’héritage tonal ou modal, devenus des points de repère très sécurisants, ce qui leur a ainsi attiré les bonnes grâces d’un très large public, à la différence des autres axes de la musique contemporaine.


Né en 1947, Jean-Yves Bosseur a étudié la composition à Cologne auprès de Karlheinz Stockhausen. Titulaire d’un Doctorat en esthétique à l’Université Paris I, il est directeur de recherche au CNRS. Il a notamment publié Le sonore et le visuel (Dis-Voir) et aux éditions Minerve Musique et arts plastiques, Vocabulaire des arts plastiques du XXe siècle, Le collage d’un art à l’autre.

Konzerte

  • 24.11.2019 20:00 Uhr

    Steve Reich/Gerhard Richter/Corinna Belz

    Liegt in der Vergangenheit

    Der Komponist Steve Reich und der Maler Gerhard Richter gehören zu den bedeutendsten Künstlern unserer Zeit. Nun haben sie zum ersten Mal zusammengearbeitet – gemeinsam mit der Filmemacherin Corinna Belz – und lassen die repetitiven Strukturen von Reichs Musik in Dialog mit einem Gemälde Richters treten, aus dem Belz einen Film geformt hat. Das Pariser Ensemble intercontemporain spannt in seinem Konzert beim Festival rainy days einen weiten Bogen von Reichs Minimal-Music-Klassiker Piano Phase von 1967 bis zum neuen Werk Reich/Richter, das im April in New York uraufgeführt wurde und in Luxemburg seine kontinentaleuropäische Premiere erlebt.

    Kulturpass, bienvenue!

    Curated by Hans Ulrich Obrist and Alex Poots
    The Steve Reich composition is commissioned by
    The Shed, NYC
    The Los Angeles Philharmonic Association, Gustavo Dudamel, Music & Artistic Director
    Cal Performances, University of California, Berkeley
    Barbican Centre and Britten Sinfonia
    Philharmonie de Paris
    Oslo Philharmonic

    Dans le cadre de «less is more − rainy days 2019»