Zum Seiteninhalt springen Zur Navigation springen
29. Juni 2020

Les neuf symphonies de Ludwig van Beethoven

von Corinne Schneider

I. Un torrent de forces multiples…

Si les neuf symphonies de Ludwig van Beethoven constituent un véritable univers dans l’histoire de la musique occidentale, la trajectoire qui relie la Première à la Neuvième est loin d’être une ligne droite. Ce corpus d’œuvres se présente plutôt à nous comme un torrent de forces multiples duquel chaque partition émerge avec toute sa singularité. Chaque symphonie constitue un monde en soi qui ne saurait se réduire aux liens qu’elle entretient avec celle qui précède. En revanche, chacune témoigne de cette tension constante qui existe dans l’évolution du compositeur entre le désir de ne pas abandonner les formes héritées et le besoin rebelle de les remodeler, voire de les dissoudre. Depuis la première jusqu’à la dernière, la forme classique reçue reste en effet la pierre de touche dans laquelle il retourne inévitablement en même temps que ses incursions dans les régions expérimentales sont de plus en plus hardies. C’est qu’en continuateur des idéaux du siècle des Lumières, Beethoven n’a jamais abandonné la recherche de synthèses musicales multiples ; il l’a même amplifiée et les grandes conclusions victorieuses de ses pages symphoniques en sont le témoignage. Mais l’évolution de son langage personnel s’est très rapidement confrontée au discours de son temps. L’organisation héritée qu’il a lui-même portée à la perfection devenant trop contraignante et restrictive sous l’impulsion de sa pensée, il s’efforce dans chaque symphonie de trouver de nouvelles manières formelles.

Chaque symphonie adopte ainsi une stratégie propre. D’une partition à l’autre, Beethoven bouscule le rapport entre les mouvements, travaille à une fusion des matériaux, transforme le rôle habituel des quatre parties leur conférant de nouveaux caractères ou encore s’ingénie à déplacer le centre de gravité de chaque œuvre. Toutefois, il opère avec le même orchestre que celui de Joseph Haydn. Aux cinq pupitres des cordes, à la famille des bois (deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, deux bassons), aux cuivres (deux cors et deux trompettes) et aux timbales, il n’ajoute qu’un troisième cor dans la Symphonie N° 3 ; un piccolo, un contrebasson et trois trombones dans la Symphonie N° 5 ; un piccolo et deux trombones dans l’Orage de la Symphonie N° 6 ; un contrebasson, trois trombones et la percussion turque (triangle, cymbales et grosse caisse) dans la Symphonie N° 9. Si Beethoven n’apporte rien de véritablement nouveau à la nomenclature orchestrale, son écriture instrumentale ouvre cependant des mondes sonores ignorés jusque-là. C’est qu’il traite l’orchestre « comme un instrument collectif où jouent et s’affrontent des groupes plutôt que des solistes, des blocs sculptés plutôt que des lignes ciselées, où fusionnent des amalgames de timbres inédits, où se marquent et se creusent, enfin, plus radicales, les différences. Aussi sonne-t-il, cet orchestre, de façon plus pleine et plus puissante, plus envahissante et plus sensuelle que celui des classiques. » (André Boucourechliev, Essai sur Beethoven, 1991) Parce qu’elles interrogent l’ensemble des combinaisons instrumentales et formelles possibles de l’orchestre classique, les neuf symphonies de Beethoven constituent aujourd’hui encore la base du répertoire de toutes les formations, pour les instrumentistes autant que pour les chefs d’orchestre.

Dans une interview donnée à New York à l’occasion du bicentenaire de la naissance du compositeur, Otto Klemperer faisait d’ailleurs remarquer qu’« il n’existe rien de plus difficile pour un chef d’orchestre que les symphonies de Beethoven. » (Musical America, 19 février 1927


Symphonie N° 1 en ut majeur op. 21

Si on trouve bien quelques esquisses antérieures à 1800, Beethoven semble vraiment s’être intéressé au genre de la symphonie une fois sa réputation de pianiste virtuose et de compositeur bien assise à Vienne. Depuis son installation dans la capitale autrichienne en 1792, il avait réussi à s’attirer l’admiration de la haute société en brillant dans les salons aristocratiques grâce à ses improvisations pianistiques et à l’exécution d’œuvres de musique de chambre très remarquées. Le grand maître du genre symphonique, Joseph Haydn, approchait alors les soixante-dix ans et n’œuvrait plus dans ce domaine depuis ses dernières productions pour Londres (1794/95). Le champ était donc libre pour Beethoven alors trentenaire.

Grâce à l’aide de l’aristocratie influente, l’occasion est donnée à Beethoven d’organiser pour la première fois un grand concert public à son bénéfice au Théâtre de la Cour le 2 avril 1800. C’est en vue de cet événement qu’il compose sa Première Symphonie. Le programme musical de cette soirée débute par une symphonie de Mozart à laquelle succèdent deux extraits vocaux de La Création de Haydn, une improvisation au piano de Beethoven, son Concerto pour piano en ut majeur op. 15, son Septuor pour vents et cordes op. 20 et pour finir la création de sa « nouvelle grande symphonie avec orchestre au complet ».

L’Allegro con brio débute par une introduction lente (Adagio molto), une pratique déjà instaurée par Haydn mais dont Beethoven accentue le climat dramatique. De solennelle chez son aîné, elle devient ici dissonante et tendue. Après avoir découvert cette symphonie pour la première fois à Berlin en 1805, un critique de la Berlinische Musikalische Zeitung note que cette page singulière aurait été plus adaptée à l’ouverture d’un opéra qu’à l’introduction d’une symphonie de concert. Ce qui surprend dans le mouvement initial, c’est que le profil des thèmes, si proche de ceux de Mozart, est soumis à une accentuation nouvelle générée non seulement par les dynamiques mais aussi par l’harmonie, l’instrumentation et le rythme. Comme il est de coutume, le mouvement lent (ici un Andante cantabile con moto) est l’endroit du beau chant et de l’épanchement de la mélodie. Mais Beethoven augmente ce mo-ment lyrique d’une épaisseur nouvelle obtenue grâce à l’écriture contrapuntique en introduisant une fugue à quatre entrées. Dans le Menuetto, il conserve l’habituel jeu rythmique et d’accentuation contrariée, tout en ménageant des amplifications sonores d’un effet neuf grâce à une augmentation progressive des pupitres. L’Allegro molto e vivace s’ouvre par un étonnant Adagio de six mesures qui égraine une gamme ascendante à partir d’un accord du tutti orchestral. Suivant l’héritage du rondo haydnien, le brillant final marqué par une écriture des bois remarquable et virtuose s’élance dans la tonalité lumineuse d’ut majeur.

Quelques réactions rédigées dans la presse à la suite de la première exécution publique de cette symphonie sont parvenues jusqu’à nous. Les critiques commentent surtout l’orchestration et relèvent plusieurs exemples de combinaisons instrumentales nouvelles, comme l’utilisation des timbales dans l’Andante pour accompagner la conclusion des violons doublés de la flûte. Mais c’est surtout l’utilisation des vents et le recours à ces instruments qui surprend généralement l’auditoire de l’époque comme en témoigne cette assertion trouvée dans l’Allgemeine Musikalische Zeitung du 15 octobre 1800 : « Cette nouvelle symphonie est remarquable ; elle comprend beaucoup d’art, de nouveautés et de richesses d’idées, mais les instruments à vent y étaient trop employés, de telle sorte que c’était plutôt une musique d’harmonie que véritablement une musique d’orchestre. »


Symphonie N° 9 en ré mineur op. 125

Jamais avant Beethoven on avait ainsi associé la voix (soliste et chorale) aux instruments dans le genre symphonique. Déjà en 1808, il avait composé une partition d’un genre « hybride », la Fantaisie en ut mineur op. 80 conçue pour piano, chœur et orchestre sur les vers de Christoph Kuffner qui célébraient, selon l’indication du compositeur, une sorte de fraternité universelle par la rencontre des arts.

Mais avec sa Neuvième Symphonie, Beethoven atteignait un registre nouveau et colossal dont le contenu musical et humaniste autant que la réalisation dépassaient toutes les entreprises de l’époque. Une gestation de dix années est nécessaire à l’élaboration de cette partition monumentale qui dépasse les quatre-vingts minutes. Les premières idées jaillissent en 1812, à l’époque de la composition des Symphonies N° 7 et N° 8. À

plusieurs reprises, Beethoven tente de revenir sur ses premières esquisses, mais la composition d’ouvrages de grande envergure l’en détourne (Fidelio, Variations Diabelli, Missa solemnis…). L’observation des brouillons, la lecture des notes éparses, la reconstitution des différentes étapes de l’écriture révèlent une enquête passionnante et montrent que Beethoven songeait clairement à quelque chose de totalement nouveau et de grandiose.

C’est en mars-avril 1818 qu’apparaît pour la première fois dans ses notes l’introduction d’un texte à portée spirituelle : « Adagio Cantique / Chant religieux dans une symphonie / Alleluia soit seul, soit comme introduction à une fugue / Peut-être de cette manière caractériser toute la symphonie, où soit dans le dernier mouvement, soit déjà dans l’Adagio les voix entreraient / Les violons de l’orchestre etc. seront décuplés dans le dernier mouvement / Ou bien l’Adagio serait repris de cette manière dans le dernier mouvement ou alors les voix entreraient les unes après les autres / Dans l’Adagio, texte d’un mythe grec ou d’un Cantique ecclésiastique / Dans l’Allegro, fête à Bacchus. » La connotation religieuse est finalement abandonnée et le recours au poème « An die Freude » de Schiller (poème qu’il connaît depuis sa jeunesse) ne survient qu’en octobre 1822 alors qu’il ébauche la construction générale de sa nouvelle symphonie qui chantera dans la joie, l’idée de la fraternité universelle. Il faudra alors une année entière à Beethoven pour composer son monument.

Le soir de sa première exécution publique (Vienne, Kärntnertortheater, 7 mai 1824), la Neuvième Symphonie remporte un immense succès. Le deuxième mouvement est interrompu par les applaudissements et doit être repris. Le public s’enflamme et entre dans une frénésie générale, des Vivat ! fusent dans la salle et cinq rappels émanent des applaudissements chaleureux. Un critique de l’Allgemeine Musikalische Zeitung note au lendemain de la création que « le génie inépuisable de Beethoven ouvre sur un monde nouveau et inouï ». L’œuvre est immédiatement redonnée le 23 mai 1824 dans la grande salle de la Redoute. Il s’agit là des deux derniers grands concerts publics à bénéfice dont Beethoven a pu jouir de son vivant.

II. Un compositeur qui n’entend plus…

Installé à Vienne depuis plus de trois ans, Beethoven commence à être reconnu comme pianiste virtuose et souhaite à présent conquérir le monde. Il entreprend une grande tournée de con-certs en 1796 qui le mène à Prague, Nuremberg, Leipzig, Dresde, Presbourg, Budapest et Berlin où il joue devant le roi Frédéric Guillaume II duquel il reçoit un coffret rempli de louis d’or. C’est au retour de ce périple qu’apparaissent les premiers signes de surdité : il a vingt-six ans. La maladie dont il est victime est évolutive et il perd l’audition peu à peu avant de devenir complètement sourd vers 1819. Ses huit premières symphonies sont composées (de 1800 à 1812) durant cette période qui le conduira au silence total. Longtemps il tient caché ce mal trop honteux pour un musicien.

Alors qu’il vient d’achever la composition de sa Deuxième Symphonie (avril 1802), ses troubles ne font qu’empirer et il décide de se retirer à la campagne afin de trouver le repos nécessaire à l’amélioration de son état. Mais il n’en est rien : sa surdité empire et il sombre dans une profonde dépression. À l’issue de cet été noir passé à Heiligenstadt, il rédige son testament (octobre 1802). Ce texte sonne à la fois comme un cri de désespoir et de soulagement arraché à sa solitude et à sa surdité. Il réussit en effet à trouver la force de se relever, de dépasser sa souffrance et de surmonter son mal. Beethoven trouve une énergie nouvelle dans son art et dans sa volonté de continuer à composer malgré tout. Son pouvoir créateur devient une victoire possible sur la souffrance : par son travail musical, il s’érige en héros de lui-même. L’idée de composer sa Troisième Symphonie s’impose à lui pendant ce fameux été passé à Heiligenstadt ; cette œuvre cristallise en quelque sorte ce moment de désespoir autant que sa volonté de dépassement.

L’accentuation de sa surdité l’oblige graduellement à renoncer aux exécutions pianistiques en public et à la direction d’orchestre. Il dirige encore la création de sa Septième Symphonie en décembre 1813. Louis Spohr assiste au concert et laisse cette description du maestro : « Beethoven avait pris l’habitude d’indiquer les nuances à l’orchestre par de singuliers mouvements du corps. Pour marquer un piano, il se baissait d’autant plus bas qu’il le voulait plus accentué. Arrivait un crescendo, alors il se relevait peu à peu, et se dressait de toute sa hauteur à l’entrée du forte. Il criait même parfois au milieu du forte, pour le renforcer et sans s’en rendre compte. » La création le 11 avril 1814 du Trio « à l’Archiduc » op. 97 avec Schuppanzigh au violon et Linke au violoncelle, est vraisemblablement sa dernière apparition publique comme interprète au piano, alors que sa surdité est presque totale. La conception, la composition proprement dite et la création de sa Neuvième Symphonie se feront dans le silence le plus complet…

Déjà de son vivant, mais surtout après sa mort, l’idée se répand que ses dernières œuvres portaient les stigmates esthétiques de sa pathologie physique : plutôt qu’une preuve de génie, les originalités formelles de son écriture musicale trahissaient son incapacité à percevoir les sons en temps réel. Les audaces de son orchestration devenaient des anomalies car issues de l’impossibilité de contrôler sa partition par l’oreille. Richard Wagner, en 1870, renverse la vapeur dans l’ouvrage qu’il consacre au compositeur pour le centenaire de sa naissance, expliquant qu’en perdant l’ouïe, Beethoven avait réussi à transcender le monde et à ouvrir les oreilles de ceux qui entendent : « Un musicien qui n’entend pas ! Peut-on imaginer un peintre aveugle ? Beethoven n’étant plus troublé par le bruit de la vie, écoute maintenant uniquement les harmonies de son âme, et continue, du fond de lui-même, à parler à ce monde qui, pour lui, n’a plus rien à dire. Ainsi le génie délivré de tout le hors-soi, est en soi et pour soi. »

 

Symphonie N° 2 en ré majeur op. 36

Sa Première Symphonie qui vient d’être exécutée en public le 2 avril 1800 n’est pas encore éditée que Beethoven se lance déjà dans la composition d’une Deuxième Symphonie. Achevée en avril 1802, elle est le fruit d’un travail de longue durée même si les efforts sont interrompus pour composer d’autres œuvres, comme la musique des Créatures de Prométhée op. 43 (création le 28 mars 1801). La première audition publique a lieu à l’occasion d’un nouveau grand concert à bénéfice organisé au Theater an der Wien le 5 avril 1803. Le programme extrêmement ambitieux comprend exclusivement des œuvres de Beethoven. En plus de la création de sa Deuxième Symphonie, le compositeur dirige également sa Première Symphonie et donne en première audition son Troisième Concerto pour piano op. 37 et son oratorio Le Christ au Mont des Oliviers op. 85.

Dès sa Deuxième Symphonie, Beethoven part à la recherche d’une plus grande ampleur sonore ; il obtient de son orchestration une envergure nouvelle qualifiée de « colossale, d’une profondeur, d’une force et d’une maîtrise artistique exceptionnelles » par un critique de l’Allgemeine Musikalische Zeitung à l’annonce de la publication de la partition en mars 1804. L’introduction lente (Adagio molto) qui ouvre le premier mouvement est bien plus longue que celle de la Première Symphonie. Son climat est tendu en même temps que théâtral. Plusieurs des brefs motifs entendus dans cette page d’ouverture serviront à nourrir les matériaux des quatre mouvements. L’Allegro con brio se distingue par une impulsion rythmique. Dans ce mouvement très dynamique, l’écriture de toutes les parties de transition est davantage travaillée que dans la Première Symphonie. Le développement présent à chaque instant augmente également considérablement la durée de cette première partie qui prend une ampleur nouvelle. Le Larghetto se déploie dans toute la majesté des timbres instrumentaux à l’état pur mettant en valeur les cordes et les clarinettes, avec la présence des cors chaleureux ou guerriers. Les accompagnements de la mélodie fourmillent de détails et de variété enrichissant ainsi le tissu polyphonique de cette page lyrique.

 

Beethoven abandonne le Menuet pour adopter le Scherzo : un mouvement d’allure plus rapide, mais surtout d’un caractère nouveau. Il ne s’agit plus de la stylisation d’une danse mais d’un caractère enjoué et énergique aux enchaînements virtuoses où le discours se trouve fragmenté par le changements des timbres instrumentaux tandis que l’écriture est morcelée par le jeu rythmique et l’alternance des différents pupitres. L’Allegro molto débute par le refrain d’un rondo aussi espiègle que ceux composés jadis par Haydn, mais l’allure générale de ce final est plus dramatique que brillante. Les harmonies autant que les parties de développement offrent des oppositions radicales d’intensité et de masse. Après la première audition de l’œuvre à Leipzig (2 juin 1805), un critique de ­l’Allgemeine Musikalische Zeitung note que ce final « est par trop bizarre, sauvage et criant ».


Symphonie N° 3 en mi bémol majeur op. 55 « Eroica »

Parce qu’elle prend sa source à Heiligenstadt au cours de l’été 1802, la Troisième Symphonie est porteuse d’un message personnel fort dans la vie de Beethoven et incarne sa propre victoire sur lui-même. Totalement achevée pendant l’été 1804, créée publiquement le 7 avril 1805 et publiée en octobre 1806, elle a également une portée politique plus large. On sait combien Beethoven souhaitait la fin du despotisme d’Ancien Régime ; il avait vu s’installer à Vienne en 1798 l’ambassade de la nouvelle République française et se montrait très intéressé par l’élan de liberté parisien qui prônait en outre le respect des droits de l’homme. Vivement impressionné par la figure de Napoléon, alors Premier consul de la République française, Beethoven eut l’idée d’associer sa nouvelle symphonie à ce héros civilisateur qui véhiculait alors l’image d’un libérateur pacifique. Pendant la composition de l’œuvre, il porta même le nom de « Bonaparte » sur sa partition. Mais le victorieux général allait bientôt entrer en guerre contre l’Autriche, puis contre la Russie, l’Angleterre et la Prusse, devenant ainsi l’envahisseur et l’ennemi de plusieurs peuples. ­Beethoven raya alors sa mention et opta pour le titre de ­­« Sinfonia Eroica ». La Troisième Symphonie possède en effet une dimension héroïque à plus d’un titre. Avec cette œuvre, Beethoven franchit une nouvelle étape dans la composition. Dans sa correspondance, il en parle comme de « la plus grande œuvre qu’il ait composée jusque-là » (la durée a doublé pour atteindre une heure !) et lorsqu’il la joue au piano à son élève Ferdinand Ries, celui-ci écrit plus tard à l’éditeur Simrock qu’il avait la sensation que ­« le ciel et la terre étaient ébranlés par son exécution » (22 octobre 1823).


Tout est plus grand et plus vaste dans cette partition. Beethoven s’attache à l’élargissement de chaque paramètre ; les oppositions de masses sont nouvelles, les répétitions de grands accords en tutti aussi ; la nature même de chaque mouvement a changé, adoptant un caractère et un sens inédits. Dans l’Allegro con brio initial où règne la sonorité cuivrée des trois cors et des deux trompettes, c’est l’idée de développement de chaque idée thématique qui est première jusqu’au développement terminal inattendu. Aussi les proportions de ce mouvement sont-elles inhabituellement longues. Une Marche funèbre (Adagio assai) en ut mineur de près d’un quart d’heure remplace l’habituel mouvement lent. Le lugubre prend la place du lyrisme, avec la mise en avant du timbre du hautbois ponctué par les roulements de timbales. On ne s’attend pas à trouver comme point culminant de cette « procession », le déploiement d’une gigantesque fugue. Le contrepoint envahit également le Scherzo écrit en canon.

La partie centrale confiée aux trois cors sonne ici comme une musique de plein air et offre un contraste très fort avec les deux parties Allegro vivace qui l’entourent. Le gigantesque final est construit comme une suite de variations à partir du thème que Beethoven avait déjà utilisé dans les Créatures de Prométhée et dans les Variations op. 35. Plusieurs étapes caractérisent cette colossale péroraison, marquée par l’introduction d’une musique militaire hongroise de Verbunkos, d’une nouvelle fugue et d’un Presto fulgurant.

 

À la suite d’une exécution semi-publique qui avait eu lieu chez le banquier Würth und Fellner le 20 janvier 1805, un critique de l’Allgemeine Musikalische Zeitung (13 février 1805) signalait que cette nouvelle symphonie était d’un tout autre style que les deux premières : « Elle est longue et difficile à exécuter, sorte de fantaisie hardie et sauvage qui semble déréglée, pleine de sons perçants et de bizarreries, si bien qu’il est impossible d’en avoir une vue d’ensemble. »

Quelques années plus tard, elle était hissée au plus haut dans un journal de Weimar : « La nouvelle grande symphonie héroïque de ­Beethoven est la plus grande, la plus originale, la plus remplie d’art et la plus intéressante de toutes les symphonies. » (Journal des Luxus und der Moden, 1807)

III. La question du style…

Beethoven entraîne la symphonie vers de nouveaux horizons en questionnant la hiérarchie entre les différents paramètres de la musique et en revisitant le langage musical en profondeur. C’est à l’intérieur même du style qu’il fait surgir des tensions extrêmes, des conflits de lignes de force, des drames qui auront des répercussions jusqu’à la structure de l’œuvre, élargissant ainsi la notion de dissonance pour la porter au niveau de l’architecture même de la partition. Un siècle après lui, un artiste aussi moderne qu’Igor Stravinsky continuera à le considérer comme « l’initiateur d’un doute en toute chose », voire même le « destructeur des certitudes stylistiques ».

Après la mort de Beethoven, apparaît dans les commentaires de ses plus proches amis – tels que son ancien élève le pianiste Carl Czerny et son secrétaire et biographe Anton Schindler – l’idée de la division de la production musicale du compositeur en trois périodes qui correspondraient à trois manières d’écrire. Cette analyse trouve une formulation qui a fait date sous la plume de Wilhelm von Lenz dans un ouvrage publié en 1852 sous le titre de Beethoven et ses trois styles. On peut y lire que les Symphonies N° 1 et N° 2 appartiennent au premier style, « sur la voie de Mozart » ; que les Symphonies N° 3, N° 5 et N° 6 tissent de nouvelles voies, celles d’un deuxième style où « il sera sa loi à lui » ; tandis que la Symphonie N° 9 caractérise un troisième style dans lequel Beethoven « dépasse les limites » de son époque en même temps que les siennes propres. Cette manière d’appréhender l’évolution du style de Beethoven dans la globalité de sa production est largement diffusée et a obtenu beaucoup de succès notamment en France, relayée au début du 20e siècle par Vincent d’Indy ou Romain Rolland (Beethoven : les grandes périodes créatrices, 1928–1945).

Franz Liszt s’était opposé à cette manière d’embrasser l’œuvre de Beethoven et d’analyser son évolution stylistique. En réponse à l’écrit de Wilhelm von Lenz, il s’était prononcé en faveur d’une autre analyse, qui lui permettait de prendre en compte les Symphonies N° 4, N° 7 et N° 8, inclassables dans la théorie vectorielle de Lenz. « S’il m’appartenait de catégoriser les divers termes de la pensée du grand maître, je ne m’arrêterais guère, il est vrai à la division des trois styles… », écrit-il à Lenz dans une lettre passionnante du 2 décembre 1852 ; « …Je poserais franchement la grande question qui est l’axe de la critique et de l’esthétique musicale au point où nous a conduit Beethoven : à savoir, en combien la forme traditionnelle ou convenue est nécessairement déterminante pour l’organisme de la pensée ? ».

La réponse à cette question, telle qu’elle se dégage de l’œuvre de Beethoven même, conduit Liszt à partager sa production musicale non pas en trois styles ou périodes, mais en deux catégories : la première est « celle où la forme traditionnelle et convenue contient et régit la pensée du maître » ; la seconde, « celle où la pensée étend, brise, recrée et façonne au gré de ses besoins et de ses inspirations la forme et le style ».

Et Liszt de conclure sur une portée esthétique et politique qui n’aurait pas été sans déplaire à Beethoven : « Sans doute en procédant ainsi nous arrivons en droite ligne à ces incessants problèmes de l’autorité et de la liberté. Mais pourquoi nous effraieraient-ils ? dans la région des arts libéraux ils n’entraînent heureusement aucun des dangers et des désastres que leurs oscillations occasionnent dans le monde politique et social, car dans le domaine du Beau, le génie seul fait autorité, et par là, le Dualisme disparaissant, les notions de l’autorité et de liberté sont ramenées à leur identité primitive. »

 

Symphonie N° 8 en fa majeur op. 93

L’idée de cette Huitième Symphonie est concomitante à celle de la Septième et la partition est déjà esquissée au printemps 1812 alors que la Septième vient juste d’être achevée. Pensées coup sur coup, ces deux œuvres comportent de nombreux points communs, ne serait-ce que par le voisinage de leur style rythmique. La Huitième est en grande partie composée pendant l’été 1812 alors que Beethoven séjourne dans les villes d’eau de Bohême (Teplitz et Karlsbad). Au printemps 1813, l’archiduc Rodolphe organise une répétition de l’œuvre dans ses appartements qui donne l’occasion au compositeur de porter des modifications à sa partition. La création publique n’aura lieu que le 27 février 1814, lors d’un grand concert à bénéfice donné à Vienne dans la salle de la Redoute ; la Huitième Symphonie y côtoie la Septième et La Victoire de Wellington op. 91, créées quelques semaines plus tôt en décembre 1813.

La nouvelle œuvre ne provoque pas l’enthousiasme attendu par le compositeur et semble être restée dans l’ombre de la Septième ; le critique de l’Allgemeine Musikalische Zeitung écrit au lendemain de cette grande soirée, qu’« elle ne fit pas furore, comme disent les Italiens ». Quelques années plus tard (1818), le même journal s’enthousiasme à la lecture de la partition qui vient d’être éditée : le critique insiste sur le dynamisme d’une « musique pleine de vie et d’humour » ; mais à la ligne suivante il indique qu’elle reste « difficile à suivre à cause d’une structure démantelée des mouvements ». En 1819, l’Allgemeine Musikalische Zeitung estime finalement que la musique de la Huitième est en recul par rapport à celle des Symphonies N° 3, N° 5 et N° 6 et reproche même à ­Beethoven de vouloir plaire au public en revenant vers les canons antérieurs de ses deux premières symphonies.

La somme de ces remarques le plus souvent contradictoires témoigne de l’écart qui continue de se creuser entre les recherches de Beethoven sur le langage et les attentes de ses contemporains. Plus courte que la Septième, la Huitième est aussi plus incisive et plus extrême : une jouissance de l’écriture ­rythmique se libère de l’orchestre avec exubérance. Décidées et impulsives, les idées émergent les unes après les autres avec une immédiateté qui étonne. Dans le deuxième mouvement (Allegretto scherzando), Beethoven déjoue les codes de l’époque en conférant à l’habituel mouvement lent un style rythmique et amusé. Il questionne également les codes archaïques du Menuet en passant par des couleurs orchestrales originales associant les clarinettes aux cors. Dans l’Allegro vivace final, c’est le fourmillement des motifs qui laisse pantois autant que l’explosion inattendue de l’écriture contrapuntique dans un contexte aussi rythmique et pulsé.

Symphonie N° 4 en si bémol majeur op. 60

La Quatrième Symphonie naît pendant cette grande période de créativité de la vie de Beethoven qui survient après l’échec de son opéra Fidelio (mars 1806). Écrite en un temps record de quelques mois entre la fin de l’été et l’automne 1806, elle voisine avec la composition des trois Quatuors à cordes op. 59 et du Concerto pour violon op. 61. La création publique de l’œuvre sous la direction de Beethoven a lieu le 15 novembre 1807 à l’occasion d’un concert de charité donné au Theater an der Wien. Très appréciée de ses contemporains, sa Quatrième Symphonie est exécutée plusieurs fois du vivant du compositeur, l’Adagio constituant le mouvement préféré du public.

Comparativement à la Troisième Symphonie, la Quatrième retrouve un cadre formel et des proportions plus habituels. Mais la nature même du style musical qui la compose s’est largement transformée : plus morcelée et plus détaillée dans l’articulation, l’écriture repose sur un travail des motifs bien plus prononcé que dans la Troisième Symphonie. L’Adagio en si bémol mineur qui ouvre la partition est très impressionnant et taillé dans la même veine que celle du cachot de Florestan dans l’opéra Fidelio. Elle offre un contraste saisissant avec l’Allegro vivace où les thèmes jaillissent avec clarté d’un tissu très finement brodé, notamment en ce qui concerne les transitions. À nouveau par effet de contraste, l’Adagio se présente comme une confidence : la mélodie se déploie aux violons sur une pulsation au rythme irrégulier, un peu comme un battement de cœur. Beethoven n’avait encore jamais imaginé une atmosphère aussi tendre, chaleureuse et intérieure dans une symphonie. La forme du Scherzo étonne car la partie centrale réapparaît deux fois ce qui fait doubler la durée de ce mouvement rythmique. Enfin, l’Allegro ma non troppo final est propulsé sur un perpetuum mobile, une animation rythmique intérieure qui nécessite de la part de l’ensemble de l’orchestre une grande virtuosité de jeu.


Symphonie N° 5 en ut mineur op. 67

Les premières idées musicales de la Cinquième Symphonie remontent à l’année 1803 alors que Beethoven œuvre à la composition de sa Symphonie N° 3 et le fameux rythme du motif initial (trois brèves, une longue) apparaît dans les esquisses de travail de l’année 1804. La plus célèbre des symphonies de ­Beethoven est le fruit d’une longue gestation. Le compositeur se met en effet à l’écriture proprement dite de l’œuvre au printemps 1807, après la création de la Symphonie N° 4, travaille avec acharnement à sa partition au cours de l’hiver 1807/08 pour ne l’achever qu’en mars 1808 (création le 22 décembre 1808 à Vienne). Dans la continuation de l’écriture de la Quatrième, Beethoven se livre dans la Cinquième à un travail compositionnel centré sur le motif et non plus sur l’idée de thème. Ce motif réduit irrigue l’œuvre entière de ses composantes (notes répétées, intervalle de tierce, rythme de trois brèves et une longue). L’idée n’est plus de partir d’un thème qui sera amené à être développé, mais d’un motif qui ne prendra son sens que dans sa trajectoire au cours de l’œuvre.

L’Allegro con brio initial est dominé par l’impulsion de la phrase la plus courte que Beethoven ait jamais utilisée dans une symphonie ! La brièveté de ce motif est compensée par un travail d’imitation et de contrepoint qui rend la texture musicale dense et concentrée. La vraie mélodie se trouve dans l’Andante con moto qui suit. Ici c’est l’art de la variation plus que celui du développement qui est prégnant. Une fois exposée, la mélodie change de coloris ; elle adopte ainsi plusieurs caractères et peut passer de l’intériorité à l’extériorité éclatante et triomphale des cuivres, proche de la marche militaire. Même s’il en garde la structure, le troisième mouvement (Allegro) abandonne l’esprit du Scherzo : dans la première partie, le motif rythmique (trois brèves, une longue) se trouve comme transcendé tandis que la partie centrale laisse place à une gigantesque fugue. Le final (Allegro) doit être enchaîné (attaca) au mouvement précédent. La tessiture et l’espace sonore sont ici agrandis grâce à une instrumentation exceptionnellement augmentée chez Beethoven ; la couleur orchestrale est en effet enrichie d’un piccolo, d’un contrebasson et de trois trombones. De la tonalité ombrageuse d’ut mineur, on passe à la lumière éclatante de celle d’ut majeur : une apothéose qu’un critique de l’époque qualifiait de « fleuve de lave » qui se transformait en « cortège nuptial » (Allgemeine Musikalische Zeitung, 1812).

IV. D’une réception à l’autre…

C’est autour de l’analyse des symphonies de Beethoven par ses contemporains que le terme même de romantique commence à se cristalliser dans le domaine musical. Dans deux articles consacrés à la Cinquième Symphonie (Allgemeine Musikalische Zeitung, 4 et 11 juillet 1810), Ernst Theodor Amadeus Hoffmann écrit que Beethoven ouvre avec cette partition « le royaume de l’immense et de l’incommensurable », entraînant l’auditeur « dans l’univers enchanté de l’infini ». Pour les penseurs de l’époque, la musique de Beethoven conférait à l’écoute une dimension nouvelle, une dimension métaphysique qui rejoignait la catégorie du sublime nouvellement posée par Immanuel Kant. Un peu plus tard, Arthur Schopenhauer dira que les symphonies de Beethoven expriment l’essence de la musique.

À leur création, les symphonies de Beethoven ont suscité la ­fascination autant que le rejet, un sentiment ambivalent d’attraction et de répulsion, de plaisir mêlé d’effroi. C’est surtout à partir de la Troisième Symphonie que le vocabulaire renvoyant à l’étrangeté, à la bizarrerie et aux audaces effroyables côtoie celui de l’extase et du sublime. Voici par exemple ce qu’écrit Hector Berlioz au sujet de l’Orage de la Sixième Symphonie : « Ce n’est plus de la pluie, du vent, c’est un cataclysme épouvantable, le déluge universel, la fin du monde. En vérité cela donne des vertiges : et, pour mon compte, toutes les fois que j’entends cet Orage, l’émotion que j’en ressens est si forte que je ne sais trop distinguer si c’est plaisir ou douleur. » (Revue européenne, avril 1833)

Grâce à l’édition, les symphonies de Beethoven commencent à circuler et à être interprétées dans plusieurs nations du vivant du compositeur ; on compte, par exemple pendant les années 1820, soixante exécutions dans les programmes de la Société philharmonique de Londres. Juste après sa mort, ce corpus d’œuvres fait l’objet d’un culte que l’Europe entière tend à sacraliser. À Paris, la Société des concerts du Conservatoire devient dès 1828 sous la direction de François-Antoine Habeneck un véritable temple dédié aux symphonies de Beethoven. De 1828 à 1831, cet orchestre que les voyageurs mélomanes du temps considéraient comme l’un des meilleurs d’Europe, avait réussi à inscrire les neuf symphonies à son répertoire. On décrivait cette Société dans la presse comme « l’Olympe musical », le « temple de l’art », le « sanctuaire » dans lequel Beethoven trônait en modèle. C’est là que Richard Wagner entendit pour la première fois en 1839 la Neuvième Symphonie.

Parce qu’elles présentent autant de diversité et de variété, les symphonies de Beethoven tendent vers une sorte d’universalité et ouvrent à de multiples projections poétiques, religieuses ou politiques. Avec l’Hymne à la Joie, la Neuvième Symphonie devient par exemple le symbole sonore de l’émancipation humaine, et ce, dès la Troisième République française.

Dans Les Révolutionnaires de la musique (1882), Octave Fouque écrit que dans la Neuvième « il ne s’agit pas d’un héros, mais d’une foule en marche ». Un peu plus tard en Russie, le poète symboliste Gueorgui Tchoulkov, inventeur de l’anarchisme mystique, écrit ceci : « Dans le froid giron de la culture athée européenne des temps modernes, tous nos chagrins et toutes nos angoisses ont à présent trouvé leur expression dans les trois premières parties de la fameuse Neuvième Symphonie de Beethoven et leur solution religieuse dans la partie finale à travers le Mot, dans un chant de fraternité universelle. » (Les principes du théâtre de l’avenir, 1908) Un chant adopté en 1972 comme

« hymne européen » par le Conseil de l’Europe, choix entériné par les chefs des États membres comme hymne officiel de l’Union européenne en 1985. Cet « Ode à la joie » auquel on a finalement retiré les paroles allemandes, est choisi car il évoque « grâce au langage universel de la musique, les idéaux de liberté, de paix et de solidarité incarnés par l’Europe ».

 

Symphonie N° 6 en fa majeur op. 68 « Pastorale »

L’idée d’une « Sinfonia pastorella » daterait déjà de l’été 1807, mais le travail de composition de la Sixième Symphonie (mars-novembre 1808) débute vraiment après l’achèvement de la Cinquième. Beethoven qui a toujours su trouver dans son dialogue avec la nature les fruits de son inspiration souhaitait magnifier cette relation par la musique. Dans une lettre adressée à son amie Therese Malfatti, il écrira ceci : « Personne ne saurait aimer la campagne comme moi. Les forêts, les arbres, les rochers nous rendent en effet l’écho désiré. » (mai 1810). C’est bien le compositeur qui appose à la Sixième Symphonie le sous-titre de Symphonie pastorale. La première exécution publique de la Sixième a lieu le 22 décembre 1808 au Theater an der Wien à l’occasion d’un grand concert à bénéfice exclusivement consacré aux œuvres de Beethoven. Outre la création de la Pastorale, le programme offrait également en première audition la Cinquième Symphonie, le Concerto pour piano N° 4 op. 58, la Fantaisie pour piano op. 77 et la Fantaisie pour piano, chœur et orchestre op. 80… une soirée qui dura plus de quatre heures (de 18h30 à plus de 23 heures).

Sur le programme de ce concert figure pour chacun des cinq mouvements de la Sixième Symphonie un commentaire littéraire évoquant une scène champêtre : « Éveil d’impressions agréables en arrivant à la campagne », « Scène au bord du ruisseau », « Réunion joyeuse de gens de la campagne », « Orage, tempête », « Chant pastoral sentiments de joie et de reconnaissance après l’orage ». Sur la première page de sa partition, Beethoven indique que sa musique retranscrit « plus l’expression de l’impression qu’une peinture » (mehr Ausdruck der Empfindung als Malerei). Il ne s’agit donc pas d’une musique descriptive ou d’une imitation extérieure de la nature, mais des impressions ressenties par chacun au contact de la nature. On pense alors aussi à l’imitation de la nature selon Goethe : la nature crée, donc « imiter la nature » c’est imiter sa dynamique créatrice.

Lorsqu’il met sa partition au propre en printemps 1808, Beethoven note dès le début de sa partition : « On fait confiance à l’auditeur pour se représenter lui-même la situation », insistant ainsi sur le pouvoir de l’imagination plutôt que de la description. Ainsi l’édition de la Sixième conservera-t-elle en mai 1809 les intitulés de chaque mouvement, exactement comme au concert de la création.

 

Symphonie N° 7 en la majeur op. 92

Alors qu’il vient d’achever deux œuvres de circonstance pour l’inauguration du théâtre de Pest (Le Roi Étienne op. 117 et Les Ruines d’Athènes op. 113), Beethoven se lance à l’automne 1811 dans la composition de sa Septième Symphonie, une partition qu’il achève au printemps 1812. Il en dirige la création publique le 8 décembre 1813 dans la grande salle de l’Université de Vienne en même temps que celle de La Victoire de Wellington op. 91. Ainsi associée à cette œuvre composée pour célébrer la victoire du duc de Wellington sur les armées napoléoniennes (bataille de Vitoria en Espagne, le 21 juin 1813), la Septième Symphonie sonne pour le public viennois manifestement en rapport avec l’heureux commencement d’une paix tant attendue. Elle obtient un vif succès et sera rejouée dans les semaines qui suivent encore trois fois jusqu’au mois de février 1814. Les nombreuses transcriptions et arrangements réalisés pour divers ensemble de musique de chambre, témoignent autant de la diffusion que du succès populaire de cette œuvre.

Les premières esquisses montrent que Beethoven se livrait avec cette symphonie à une recherche rythmique extrêmement détaillée. L’idée première de la Septième est donc ce moteur rythmique qui caractérise l’œuvre dans son entièreté et qui confère à l’ensemble une grande vitalité. Trépidante et pleine d’énergie, la partition est nourrie d’un animation interne qui repose sur un tissu de l’écriture rythmique sans doute le plus travaillé de toute la production de Beethoven et qui incitait Richard Wagner à présenter cette symphonie comme « l’apothéose de la danse ». Répété le soir de la création, l’Allegretto en la mineur qui évolue telle une marche recueillie sur un rythme d’une longue et deux brèves, reste l’un des plus grands succès du compositeur.

Après la création de sa Septième Symphonie en décembre 1813, Beethoven apparaît dans la presse comme « le plus grand compositeur de musique instrumentale de l’époque » (Allgemeine musikalische Zeitung, 1814). En plusieurs endroits de sa correspondance, le compositeur s’est montré satisfait de cette Septième qu’il dit être « l’une de ses meilleures symphonies » et « l’une de ses œuvres les plus heureuses ».

 

Docteur en musicologie et ancienne élève du Conservatoire de Paris en esthétique et en histoire de la musique, Corinne Schneider vient de publier un ouvrage sur La Musique des voyages (Fayard/Mirare, 2019). Elle est actuellement productrice à Radio France du « Bach du dimanche » de 7h à 9h sur France Musique.